CQI 910/22.04.2024

La question qui demeure après la visite du musée de l’art brut de Montpellier est bien celle de l’émotion, soulevée à juste titre par une amie. Qu’en est-il de nos affects devant ces œuvres, comme le décrivait Jean Dubuffet, « présentant un caractère spontané et fortement inventif, et ayant pour auteurs des personnes étrangers aux milieux artistiques professionnels« , ce qui les différencie des arts singuliers dont les auteurs sont davantage considérés comme des professionnels de l’art ayant la volonté de productions plus spontanées. Sans doute ma formation en histoire de l’art, bien trop académique, m’a éloigné de ces courants artistiques. Avec le temps, et grâce à quelques lectures, l’aspect émotionnel a pris une place au moins aussi importante que la seule étude intellectuelle et historique. Comment de toute façon tenter de séparer ce qui nous constitue concomitamment ? Sans doute que la théorisation de ce courant par Dubuffet a ouvert les horizons. Et puis je me souviens de ma fascination à l’écoute de La fleur de barbe… Par le biais de la musique j’éprouvais déjà ce qui pouvait remuer en moi quelques certitudes. Même si, au vu de l’expérience de la visite d’hier, je me rends compte qu’art brut ou pas, ce que je ressens ne dépend pas de l’intentionnalité – manière trop simple évidemment de dire les choses, car elle peut aussi être primordiale – mais bien de ce que je vois et qui me regarde, quelque part. L’exemple choisi ici en image du Déprimé est par trop évident. Mais je suis resté en arrêt devant un autre artiste condensant ses pensées et émotions : des milliers de mots sur une page, rendant illisible ce qu’il exprime. Comme si déjà, de toute façon, la moindre pensée était déjà constituée de sa propre disparition. En écho je pense à Opalka, obsédé par le passage du temps, et à ce qui s’efface progressivement, à notre disparition programmée. Et dont chaque œuvre est un bouleversement infini.

CQI 909/27.01.2024

J’ai parfois du mal à suivre. Il y avait le Black Friday, puis est venu le Dry January. Pas de lien apparent, sauf qu’on veut nous imposer des attitudes ou des manières de faire liées à des dates. Il est évidemment trop tard pour ce qui aurait dû se passer en janvier. Disons que j’ai expérimenté ce que j’ai appelé le Dry Monday. C’est déjà pas mal il me semble. Peut-être que ça aurait été mieux de tout regrouper : on dépense plein d’argent un vendredi noir et du coup on ne boit pas pour faire des économies le lundi sobre qui suit. Je pense que je vais me reconvertir comme conseiller de ministre.

CQI 908/26.12.2023

Lors d’une petite balade avignonnaise nous entrons dans une église habituellement fermée place des Carmes. C’est la fin de l’après-midi, il fait déjà nuit et l’intérieur de l’église n’est éclairée que sur certains ilots des collatéraux dont celui dans lequel se trouve une crèche. Nous observons la scène bien connue mais soudain je m’aperçois qu’il n’y a pas le bébé. « Mais où est le bébé ? On a volé le bébé ! », je m’écrie ! L’ambiance est assez angoissante dans ce lieu sombre, nous sortons donc assez rapidement. Mais l’absence de bébé continue de nous troubler un moment. Enfin jusqu’à l’apéritif qui souvent permet de retrouver le chemin du bonheur. Et parfois un soupçon d’intelligence. Nous sommes le 23 décembre, cela finit par nous sauter aux yeux : le 23 le bébé n’est pas encore né ! Voilà comment en ce jour j’ai compris l’expression : ravi de la crèche

CQI 907/14.12.2023

Parfois un spectacle avec entracte laisse la porte ouverte au saisissement de conversations venues du rang juste derrière. Avec une évidence presque flippante il est question de l’organisation des repas de Noël. Évidemment pour l’un des deux c’est un peu compliqué puisqu’il faut réunir cinquante-six convives dans une pièce dont les tables ne peuvent en recevoir « que »… quarante. Heureusement qu’il y a des enfants qu’on peut faire manger ailleurs ! Mais la véritable question est de savoir à quel moment aller à la messe, apparemment il y en a à plusieures heures le 24 (j’aurais appris un truc). Et c’est là que les souvenirs émouvants remontent, quand est racontée cette enfance pendant laquelle on allait à la messe de minuit et qu’on ne « soupait » qu’ensuite, ce qui repoussait le coucher à deux ou trois heures du matin. Ils avaient sacrément le sens de la fête à l’époque…

CQI 906/11.12.2023

Paris : Une rétrospective consacrée à l'artiste juif Mark Rothko - The  Times of Israël

J’ai davantage le réflexe aujourd’hui, face à des peintures datant du siècle dernier, et notamment de la première moitié, d’imaginer les artistes au moment de la création. Non pas dans un souci de reconstitution mais plutôt dans la recherche de leur survivance au travers de leurs œuvres, des traces ici laissées, qui me parlent plus ou moins. Je ne regarde plus sur ces tableaux qu’un style, je ne recherche plus seulement une émotion esthétique, ou une construction intellectuelle. Sans que je me conditionne, arrive toujours ce moment où je pense à l’auteur, à cette personne qui a vécu et n’est plus, depuis si longtemps déjà. Mais à qui l’on peut encore penser, même sans l’avoir connue. Cela est encore plus troublant lorsque je regarde un film, face à ces êtres en mouvement et pourtant disparus. Quel abyme cela ouvre sur ma propre existence, qui avec l’âge avançant se creuse un peu plus. Voilà une raison supplémentaire de l’enrichir chaque jour davantage, et de retourner voir ces œuvres qui troublent mais qui nourrissent.